Vins - N°68 - Février/Mars 2005

Un deuxième syndicat des crus bourgeois ?

Privés de syndicat mais forts de leur victoire devant le tribunal administratif, les viticulteurs partiellement réhabilités réfléchissent à la création d’une structure pour défendre leurs intérêts.

«Oubliez tout ce que vous saviez sur les crus bourgeois», proclamait à la mi-décembre une pleine page de pub dans la presse locale. L’Alliance, structure qui a succédé au Syndicat des crus bourgeois, ne croyait pas si bien dire. Mieux vaut effectivement faire abstraction du passé pour se repérer dans cette catégorie de vins du Médoc. Comme dans le célèbre sketch de Fernand Raynaud (Les œufs cassés), il y a désormais deux sortes de crus bourgeois : les «classés» et les «pas classés». D’un côté, 240 châteaux figurant au classement officiel de juin 2003, de l’autre, 76 exclus qui ont contesté avec succès leur éviction devant le tribunal administratif. Les premiers sont représentés au sein d’une organisation qui a fait un grand nettoyage par le vide, les seconds, abandonnés par leur instance professionnelle, se cherchent une stratégie… De fait, la viticulture médocaine se trouve aujourd’hui dans une situation inextricable, voire «ubuesque» d’un point de vue juridique (JdP n° 67). L’annulation d’une partie du classement ne valant pas réintégration, le juge administratif a laissé aux parties prenantes de cette lamentable affaire le soin de se débrouiller. Résultat ? «C’est la guerre ouverte avec le syndicat qui avait pour vocation de défendre ses adhérents», souligne Patrick  Chaumont. Ce propriétaire à Bégadan balaye d’un revers de la main toute perspective d’un réexamen par un nouveau jury du dossier des 76 châteaux repêchés par le tribunal administratif : «Nous sommes pour un nouveau jury mais, dans ce cas, il faut qu’il s’applique à tout le monde !» Pas question en effet pour les exclus de revenir devant un collège d’examinateurs revu et corrigé. Pour eux, c’est l’intégralité du classement qu’il faut annuler, la justice, saisie sur le fond, n’ayant pas manqué de mettre en évidence les tares du système dont le «manquement à l’obligation d’impartialité». Bref, ce qui vaut pour quelques-uns vaut pour tous. Argument imparable !  Face à cet imbroglio dont il porte une part de responsabilité, le ministère de l’Agriculture ne semble pas pressé de réagir. Il n’a pas fait appel de l’annulation partielle prononcée par le tribunal administratif. Ne reste plus que deux possibilités. Abroger la totalité du classement au risque de se déjuger et de ridiculiser les instances consulaires et professionnelles qui ont participé à l’opération, ou bien laisser traîner l’affaire jusqu’en 2013, date de la révision décennale du palmarès. Il ne serait pas étonnant que cette dernière option soit retenue compte tenu du contexte juridique et des difficultés à faire machine arrière. Un tel choix ne serait pas neutre, entérinant les distorsions de concurrence dues à l’existence de deux familles de crus bourgeois. Patrick Chaumont estime que lui et ses collègues déclassés ont été «victimes d’une purge commerciale préméditée» et cela, au moment où les vins de Bordeaux traversent une dépression sans précédent. D’où l’idée soutenue récemment à Saint-Christoly par ce viticulteur de «se serrer les coudes» et de reconstituer une structure syndicale. «Il faut fédérer nos forces dans les domaines de la promotion et du marketing», affirme-t-il. Un an et demi  après le couperet du classement, les viticulteurs médocains rejetés dans l’anonymat puis réhabilités entendent bien défendre leurs intérêts professionnels. Même si cela rend bien improbable à court terme la perspective d’une réunification de la famille des bourgeois.
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