Livres - N°143 - Mars/Avril/Mai 2018

Livres

Nouveau roman d’Eric Holder

La belle n’a pas sommeil, Eric Holder, éd. Le Seuil, 224 pages, 18 €

Le dernier roman d’Eric Holder a été salué par la critique notamment par Jérôme Garcin et Bernard Pivot dans un longue chronique du Journal du dimanche.

La critique de Jérôme Garcin (L’Obs – Le Masque et la plume)

C’est une bouquinerie bleue adossée à la forêt, on y vient à pied, on ne frappe pas, celui qui vit là a jeté la clef... Non, on n’est pas dans le San Francisco brumeux de Maxime Le Forestier, mais dans le Médoc buissonneux et sablonneux d’Eric Holder, où Antoine, son héros et narrateur, natif de Montreuil, tient une improbable librairie d’occasion sous de vieux chênes, près de la plage.

L’endroit, nulle part signalé, attire plus les chevreuils et les sangliers que les clients. Antoine s’en moque. Cela fait belle lurette qu’il n’a plus le souci de faire fortune. Son seul bonheur est de vivre au milieu des livres – «Ils m’ont sauvé la vie, depuis je sauve la leur» – qu’il recouvre, en guise de gratitude, de papier cristal. S’il commerce, c’est plutôt avec Marc Aurèle, Giraudoux, Michaux, Char ou Echenoz. Et aussi avec Frédéric Berthet, cet «ange mélancolique» disparu en 2003 dont le roman Daimler s’en va, sapristi, a été fauché. Par qui ? Antoine mène l’enquête avec la nonchalance d’un homme des bois. Il ne recherche pas le voleur, il est intrigué par le lecteur. Il va finir par le trouver, il s’appelle Jonas, c’est un garçon dépenaillé  qui ressemble au rebelle en fuite de Into The Wild. L’ermite Antoine, qui est lettré et un peu dipsomane, l’accueille dans son antre de papier comme un frère et lui offre à boire. Et puis voici que débarque dans sa vie tranquille de presque sexagénaire une jeune fille explosive. Lorraine est une conteuse itinérante, une intermittente du spectacle qui parcourt la France avec des histoires merveilleuses et vient s’installer provisoirement en face de l’inaccessible bouquinerie.

«La belle n’a pas sommeil» du titre, c’est elle. Antoine, qui a l’habitude de se coucher tôt et l’âge d’être son père, en est fou. Elle est d’un blond éblouissant, elle a 29 ans, la voix d’Agnès dans L’Ecole des femmes et des «yeux ciel d’Islande». 

Leur idylle sera ardente, mais saisonnière. Un rêve passe, comme dans les romans que le libraire sylvestre amasse sans avoir le souci de les vendre. Celui d’Eric Holder, 57 ans, est une fable au délicieux goût de sel et de résine.

L’auteur de La Belle Jardinière et de La Baïne, qui a fui il y a une dizaine d’années la plaine de la Brie pour la pointe du Médoc, y a rassemble tout ce qui pousse cet héritier hâlé d’Henri Calet à écrire comme on peint, avec des gestes d’aquarelliste : la compagnie des vieux livres rajeunis par le soleil du Sud-Ouest, l’ombre portée des arbres ébouriffés, la présence de son «vieux copain l’océan, à nouveau glabre, lisse, après sa broussaille de saison» et la solitude que bouscule parfois, pour l’embellir, la grâce sauvage des femmes fugaces.

Jérôme Garcin

 

Le Golden Globe, il y a 50 ans

En 1968, neuf marins s’élançaient depuis les côtes anglaises pour un tour du monde en solitaire et sans escale : le Golden Globe. En 2018, 50 ans plus tard, une trentaine de marins partiront le 1er juillet des Sables-d’Olonne (le  départ n’ayant pu être organisé en Angleterre suite au Brexit) pour une course anniversaire dans les mêmes conditions : sans GPS, sans pilotes électriques et sur des bateaux de seulement une dizaine de mètres.

A cette occasion, Glénat ressort l’excellent livre de Peter Nichols, paru en 2002, qui revient sur la course originelle qui fut une invraisemblable aventure aux nombreux rebondissements. Certains n’avaient même pas d’expérience de la navigation en solitaire. Abandons, naufrage et même suicide – celui de Donald Crowhurst qui avait tenté de falsifier ses performances – marqueront la course dont seul Robin Knox-Johnston passera la ligne d’arrivée après 313 jours en mer car Bernard Moitessier, en bonne position pour gagner, décidera de ne pas s’arrêter afin de poursuivre sa route au large… 

Ce livre se lit comme un roman que l’on a du mal à reposer tant les personnages et les situations sont extraordinaires. Pour une première course, ce Golden Globe fut vraiment épique. Peter Nichols a le talent pour nous la faire revivre de l’intérieur.

Golden Globe, Peter Nichols, éd. Glénat, 384 pages + 16 pages de photos d’époque, 22 €

Golden Globe Race 2018 : http://goldengloberace.com/fr

 
 

Retour sur l’odyssée tragique de Crowhurst

A l’occasion des 50 ans du Golden Globe et alors qu’un film sort sur l’incroyable aventure du navigateur Donald Crowhurst, Le Jour de mon retour, l’éditeur Arthaud réédite le livre écrit par deux journalistes du Sunday Times, le journal anglais sponsor de la course au large. Il sort initialement en 1971, soit deux ans après la découverte du drame et après une enquête journalistique minutieuse à la rencontre de tous les protagonistes, dont sa femme Clare.

L’histoire est à peine imaginable : un homme d’affaires en mal de publicité s’engage dans une course en solitaire sans escale à bord d’un trimaran de 12 mètres construit au dernier moment avec lequel il n’a jamais navigué. Les enjeux sont tels – il a hypothéqué sa maison, sa société se porte mal – qu’après de nombreuses avaries, plutôt que d’abandonner, il s’enferme dans la spirale infernale du mensonge, faisant croire qu’il continue la course alors qu’il fait des ronds dans l’eau dans l’Atlantique. Son bateau sera retrouvé sans son capitaine au milieu de l’océan, les documents retrouvés faisant penser que, se voyant démasqué, il a préféré se suicider.

Ce livre passionnant revient dans le détail sur cet homme complexe et son aventure dramatique.

L’étrange voyage de Donald Crowhurst, Ron Hall et Nicholas Tomalin, éd Arthaud, 400 pages, 19,90 €

 

Champion du large

«Ma vie va vite», comme le dit François Gabart, skipper de Macif, impressionnant trimaran de 30 mètres, en introduction à son livre qui sort au format poche. Effectivement, ces dernières années, il va vite : détenteur du record du tour du monde en solitaire en décembre 2017, de la Transat anglaise en 2016, de la Transat Jacques-Vabre en 2015, de la Route du rhum en 2014 ou encore du Vendée Globe en 2013 à 29 ans… Son palmarès est impressionnant. Sorti à l’origine en 2016, François Gabart offre dans ce livre un témoignage sur le monde de la navigation à voile et sur sa vie, depuis sa petite enfance jusqu’à la Transat anglaise. Il aime les courses en solitaire sur multicoques et, à propos du record du tour du monde de Francis Joyon en 57 jours en 2008, il écrit : «J’espère qu’il sera battu prochainement…» Il le sera fin 2016 par Thomas Coville en 49 jours puis par lui-même en 42 jours en 2017.

François Gabart n’a pas fini de nous raconter ses aventures en mer.

Rêver large, François Gabart, éd. Arthaud Poche, 304 pages, 6,90 €

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