Des pavés dans la cave
Le mythe Parker et le «système mafieux» du goût sont visés par les dernières parutions en librairie sur l’inépuisable sujet du vin. Le système bordelais est directement concerné.
Le «wine-business» qui s’est emparé du vignoble bordelais depuis les années 80 est aujourd’hui sérieusement remis en question. La sortie quasisimultanée de deux livres, l’un sur les dessous de la notation Parker, l’autre sur l’uniformisation du goût, fait grand bruit. Dans Robert Parker, Anatomie d’un Mythe, c’est le gourou américain – vénéré par les propriétaires de grands crus du Médoc et de Saint-Emilion – qui en prend pour son grade. Dans Le goût et le pouvoir, c’est la pensée unique qui est remise en cause. Deux ouvrages qui brisent des tabous et se démarquent d’une ligne éditoriale commune à bien des ouvrages sur le vin où le sabir des dégustateurs le dispute à l’hagiographie.
Ancienne collaboratrice et traductrice de Robert Parker entre 1995 et 2003, Hanna Agostini publie un portrait non autorisé de son patron, homme à «la parole toute puissante et souvent mal inspirée». Sans remettre en cause ses indéniables qualités de dégustateur, l’auteur décèle plutôt les failles du discours parkérien avec ses «copiés-collés» et autres «indices de vétusté» dans les commentaires non réactualisés d’une édition à l’autre du célèbre guide qui recense près de 10 000 vins dans sa dernière livraison.
Elle s’interroge également sur la déontologie du critique eu égard aux relations qu’il entretient avec certains acteurs influents, tels l’œnologue Michel Rolland, partisan de vins puissants et formatés, ou Alain Raynaud de Château Quinault-l’Enclos à Saint-Emilion. Ce dernier a demandé en référé la suppression de certains passages du livre les estimant attentatoires à son honneur. En cause, les conditions d’une dégustation de grands crus en mars 2000 à l’issue de laquelle le vin du docteur Raynaud avait décroché une note sujette à polémique. En déboutant le propriétaire, le juge souligne que le livre d’Hanna Agostini soulève «les ambiguïtés qui peuvent résulter des liens tissés au fil des années par le célèbre dégustateur avec les propriétaires de grands crus» et vise surtout Robert Parker qui «revendique une attitude d’impartialité et d’indépendance».
Au-delà de Parker, «amateur de la facilité», c’est tout le système des guides qui est dénoncé par Jonathan Nossiter comme participant d’une culture «qui nous pousse à soumettre nos goûts personnels à la loi des expert». En première ligne, les «serial noteurs» du Wine Spectator et autres zélotes du «blabla postmoderne» qui s’exprime dans des commentaires grotesques du style «arômes de goudron chaud, de sauce au soja et de boisé vanillé».
Ancien sommelier, le cinéaste – auteur du documentaire Mondovino en 2004 – lance dans Le goût et le pouvoir un véritable «appel à l’insurrection» face au «système mafieux» qui tend à imposer des «goûts faciles et préfabriqués» et «détruit la culture du vin». Jonathan Nossiter met en avant les notions de partage, de relation au terroir, de complexité et de subtilité, et revendique la liberté du goût en fonction du plaisir. «Confierez-vous le choix de vos préférences sexuelles à un expert ?», se demande-t-il pour illustrer son propos.